La machine à exposer
De château, il n’y avait en réalité qu’un pastiche de style douteux reconstruit en 1954 sur les bases du précédent incendié en 1944 et relevé à plusieurs reprises aux cours de ses cinq siècles d’existence.
Cette reconstitution tardive – un château de carton pâte sans autre intérêt patrimonial que sa trace mémorielle – a servi de matrice au lieu d’exposition recherché par le FRAC d’Ile-de-France pour y exposer ses collections, aujourd’hui fortes de 1 200 œuvres, et explorer les champs de la création artistique en allant au devant du public.
Les lauréats du concours organisé en 2011 pour sa réhabilitation et reconversion ont magistralement répondu au programme en réalisant la “machine à exposer” demandée et en livrant par la même occasion une œuvre d’art à part entière.
L’artiste Xavier Veilhan, les architectes Elisabeth Lemercier et Philippe Bona et le scénographe Alexis Bertrand ont procédé de concert à une mue artistique qui fait du château une icône quasiment subliminale tout en démultipliant son potentiel spatial.
Un fantôme de château
C’est un fantôme de château qui se dresse dans la perspective rénovée du parc, une évocation sans nostalgie aucune de ce qu’il fut à travers les siècles sous différentes formes successives. Sa présence évanescente tient au capotage d’acier inoxydable poli qui épouse les contours du bâti existant et reflète le cadre verdoyant du parc. L’effet est d’autant plus abouti que les baies sont habillées plein cadre de verres miroir sans tain qui se fondent dans la masse réfléchissante du volume restitué. Le rythme des percements subsiste, de même que l’ordonnancement de la façade suggéré par la découpe et le plissé des cassettes en acier
inoxydable qui constituent l’enveloppe. Le choix d’un inox de nuance 304, produit par Aperam et poli mécaniquement confère aux tôles de 1,5 mm d’épaisseur l’aspect brillant et réfléchissant recherché à l’instar d’un miroir (Uginox Meca 7D). Fabriquée par Vetisol pour l’entreprise mandataire Baudin Chateauneuf, cette vêture est rapportée devant l’isolation extérieure sur une ossature secondaire pour un poids total de 26,6 tonnes de tôles inox façonnées. Au final, le bâtiment ainsi enveloppé apparaît sous une forme étincelante plus ou moins identifiable selon l’incidence et l’intensité de la lumière.
Le château en est réduit à son idée.
Le capotage en donne une représentation mentale entre motif et mémoire, telle une image préalable à son accomplissement matériel. A ce titre, l’ouvrage a valeur d’allégorie de la création artistique sinon de la connaissance en général. Plus qu’un souvenir ou une trace du passé, il prend une option sur l’avenir et se matérialise de manière tangible derrière son apparence furtive et fugace.
De l’autre côté du miroir se tient l’outil scénographique. Du bâtiment initial, il n’est resté que les murs de façade et le fronton établi dans l’axe de symétrie du bâti. Une structure métallique sans appuis intermédiaires loge entre ces quatre murs, se susbtituant aux anciennes maçonneries pour délivrer deux grands plateaux libres aux niveaux existants et en superposer un troisième en terrasse, dissimulé derrière le brisis de la pseudo toiture prolongeant le capotage intégral du volume. Autant de surfaces de plancher propices aux installations en tout genre, à couvert comme en plein air. A l’intérieur, des cimaises montées sur rails peuvent coulisser le long des poutres longitudinales pour redécouper l’espace. En terrasse, les œuvres sont appelées à trôner en pleine lumière et les visiteurs invités à appréhender le domaine dans son site et sa totalité. Depuis les plateaux d’exposition, le paysage environnant se découvre et se découpe en tableaux derrière les miroirs sans tain des vitrages plein cadre, dans une ambiguïté du regard entre intérieur et extérieur, entre la réduction iconique du château et l’outil scénographique déployé derrière le miroir.